Sémiologie : l’image n’est jamais le réel.
Dans ce tableau, le peintre surréaliste René Magritte bouleverse le rapport entre l’objet proprement dit, sa représentation et le langage.
Son titre « La trahison des images » est particulièrement explicite.
En effet, une image n’est jamais l’objet « en soi » mais une représentation sujette à interprétation.
Cette image a suscité de nombreux commentaires et invite à une réflexion sémiologique.
Magritte – La trahison des images (Ceci n’est pas une pipe) – 1928
René Magritte n’est pas un menteur !
Quelques propos de Magritte qui éclairent sa démarche créative : « Je veille, dans la mesure du possible, à ne faire que des peintures qui suscitent le mystère avec la précision et l’enchantement nécessaire à la vie des idées ». « Il faut que la peinture serve à autre chose qu’à la peinture »Pour expliquer ce qu’il a voulu représenter à travers cette œuvre, Magritte a déclaré ceci : « La fameuse pipe, me l’a-t-on assez reprochée ! Et pourtant, pouvez-vous la bourrer ma pipe ? Non, n’est-ce pas, elle n’est qu’une représentation. Donc si j’avais écrit sous mon tableau « ceci est une pipe », j’aurais menti ! » C.Q.F.D.
Le rapport entre l’image et sa légende
Magritte poursuit en explicitant les rapports entre ses images et leurs titres : « Les titres des tableaux ne sont pas des explications et les tableaux ne sont pas des illustrations des titres.(…) L’on me reprocha également l’équivoque de mes tableaux. Quel aveu n’est-ce pas de la part de ceux qui s’en plaignent : ils avouent ingénument leur hésitation quand, livrés à eux-mêmes, ils n’ont pas pour les rassurer les garanties de quelque vague expert, la consécration du temps ou un mot d’ordre quelconque ». Finalement, le peintre surréaliste nous laisse carte blanche dans l’interprétation personnelle de ses tableaux.
L’avis du sémiologue François Brune
« Devant le célèbre tableau de Magritte qui représente une pipe tout en précisant « Ceci n’est pas une pipe », le spectateur normal s’esclaffe :
– Si ce n’est pas une pipe, ben alors, qu’est-ce que c’est ?
Réponse :
– C’est la représentation d’une pipe…
– Ah ?
Eh oui ! Il y a certes quelque ressemblance formelle avec l’objet en question, ce qui permet de s’y référer.
Mais, si l’image renvoie à la réalité de la pipe, elle n’est pas une pipe.
La preuve ? On ne peut pas fumer avec…
Alors, de grâce, ne confondons pas ! Cette confusion entre le signe et la chose signifiée est pourtant tenace*.
Elle est à la base d’une convention qu’on nomme le réalisme, pour laquelle voir c’est croire.
Convention qui peut avoir sa justification dans l’ordre artistique, mais qui devient, dans son utilisation publicitaire, une véritable culture de l’illusion. »
L’image n’est jamais le réel
Que nous dit la sémiologie : « Qu’il s’agisse d’une pipe, d’un soleil couchant ou de mon beau visage, l’image n’est jamais le « réel ». On ne peut même pas dire qu’elle reflète « le » réel, puisqu’elle ne peut chaque fois qu’en refléter un reflet, à un moment donné.
Aussi « réaliste » que prétende être l’image d’un objet, aussi spectaculaire que puisse nous sembler l’aspect phénoménal des choses qu’on croit « saisir » en le photographiant, nous n’appréhendons chaque fois qu’une apparence parmi une infinité d’autres, et ceci à un instant précis parmi une infinité d’autres instants…
Même au pur plan visuel, même en n’en visant que la plus plate reproduction, l’image ment toujours dans la mesure où elle sélectionne une très infime partie du visible, où elle l’amplifie par ce simple choix, et où elle cache du même coup tout ce qu’elle ne montre pas. »
L’impression d’évidence est un leurre
François Brune précise : « Or, en dépit de ces simples constats, l’image bénéficie d’un préjugé constant : sa transparence à la réalité. On croit – on veut – tenir en elle l’objet auquel elle renvoie.
Étymologiquement, le visible c’est l’évident – ce qui « saute aux yeux ». Non seulement voir, c’est croire, mais, bien vite, n’est crédible que ce que l’on voit. N’existe que ce qui est « vu ».
Philippe Comar et les dessous de l’image
Philippe Comar, artiste plasticien et enseignant, souligne le trouble qui s’installe face au tableau de Magritte.
« En intitulant une de ces toiles qui montre apparemment une pipe, Ceci n’est pas une pipe, Magritte met en doute notre aptitude à reconnaître le contenu d’une image.
Ce qui semblait de prime abord une évidence est brouillée par le désordre qui s’installe entre les mots et la peinture. Quelque chose se met à vaciller, nous éprouvons un malaise.
Le visible et le lisible paraissent se repousser mutuellement.
Impossible de les emboîter, ils se nient l’un l’autre.
Mais ce décalage entre le texte et l’image ne fait que renforcer l’impact du titre qui s’impose par son étrangeté comme une clef indispensable à la compréhension du tableau.
Par cette négation de l’image, Magritte nous demande de bien vouloir réviser notre jugement.
Mais si ce n’est pas une pipe, qu’est-ce donc ?
C’est une peinture, c’est-à-dire l’image d’une pipe et non une pipe.
Non pas l’objet réel, mais une figure qui montre seulement un certain aspect de l’objet, selon un certain point de vue, une certaine interprétation. »
Le titre ne contredit pas le tableau, il l’affirme autrement.
« Par ce titre qui court-circuite l’image et met à l’épreuve nos préjugés, le tableau ironique de Magritte appelle le spectateur à ne pas s’arrêter devant la ressemblance. (…) Une peinture même figurative ne loge pas dans un simple titre. Dire « ceci est une pipe » est insuffisant puisqu’il existe une infinité d’images possibles et différentes capables de la représenter, or il n’y a qu’un seul mot pour la désigner. Il a fallu que le peintre choisisse entre toutes ces solutions.
C’est peut-être ce choix de l’auteur qu’il faut apprendre à voir, car il est lui aussi porteur d’un sens.
Non pas témoin direct de l’objet, mais témoin de la vision qu’il nous en propose. Même devant la nature, disait Delacroix, « c’est notre imagination qui fait le tableau ».
Philippe Comar – La perspective en jeu – Les dessous de l’image – Découvertes Gallimard
En conclusion
Nous l’aurons compris, la sémiologie nous enseigne que l’image d’un objet n’est pas l’objet lui-même.
Comme disait le sémiologue américain de la fin du 19e siècle, William James : «Le mot « chien » ne mord pas.»
Magritte, lui, a travaillé sur ce paradoxe de 1928 à 1966.
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