Comment des ingénieurs de YouTube ont tué Internet Explorer 6 en 2009

Un excellent article du blog du moderateur écrit par Thomas Coëffé / Publié le 6 mai 2019 à 21h29

Un ancien ingénieur de YouTube dévoile le stratagème mis en place en 2009 pour précipiter la chute d’Internet Explorer 6. Une histoire fascinante.


YouTube a précipité la chute d’Internet Explorer 6 en juillet 2009. Crédits : capture W3Counter annotée par Chris Zacharias.

Internet Explorer 6, un navigateur (trop) populaire en 2009

Nous sommes en juillet 2009. Du côté des navigateurs web, Internet Explorer domine largement ses concurrents. Les utilisateurs utilisent majoritairement Internet Explorer 7, mais la sixième version reste très populaire. Internet Explorer 6, c’est le navigateur que tous les professionnels du web ont aimé détester. Si beaucoup de personnes ont découvert le web grâce à IE6, les webmasters et les développeurs de l’époque se sont arrachés les cheveux pour concevoir des interfaces compatibles avec Internet Explorer 6.

Un plan pour précipiter la chute d’Internet Explorer 6

La plupart des développeurs ont subi, dans un silence relatif, les contraintes techniques associées à Internet Explorer 6. Ils n’avaient pas vraiment le choix : vu la part de marché du navigateur, ils se devaient de proposer des interfaces compatibles avec IE6. Mais d’autres ont décidé d’agir, comme le raconte Chris Zacharias.

À l’époque, il était ingénieur chez YouTube. Avec ses collègues, il a échafaudé un plan qui a précipité la chute d’Internet Explorer 6. Dès juillet 2009, une bannière d’information fut affichée aux 18% d’internautes qui accédaient à YouTube via Internet Explorer 6. Une bannière très visible et assez anxiogène.

Nous ne supporterons bientôt plus votre navigateur. Merci de passer sur un navigateur plus moderne.

Les internautes étaient ensuite invités à mettre à jour leur navigateur (pour passer sur Internet Explorer 8), télécharger Firefox 3.5… ou télécharger Chrome, évidemment.

YouTube : la bannière qui invitait les utilisateurs d’IE6 à passer sur IE8, Firefox ou Chrome. Crédits : Chris Zacharias.

Une initiative de l’équipe de développement web

L’ancien ingénieur se justifie : « IE6 a été un fléau pour notre équipe de développement web. Au moins une à deux semaines de chaque sprint majeur étaient dédiées à la réparation des nouvelles interfaces, buguées sur Internet Explorer 6. Malgré cela, on nous demandait de continuer à prendre en charge IE6 car nos utilisateurs pourraient ne pas être en mesure de mettre à jour leur navigateur ou pourraient travailler sur des environnements verrouillés, en entreprise ». Il poursuit : « une idée a surgi et rapidement capté l’attention de [l’équipe de développement web]. Au lieu d’arrêter de prendre en charge IE6, que se passerait-il si nous laissions seulement planer la menace ? Comment réagiraient les utilisateurs ? Se révolteraient-ils contre YouTube […] ? Ou deviendraient-ils soudainement de puissants avocats des navigateurs modernes ? »

L’équipe a donc conçu cette bannière en limitant son affichage aux utilisateurs d’Internet Explorer 6. Ce filtre a également permis à cette bannière de passer inaperçue en interne. « À l’exception de l’équipe de développement web, personne n’utilisait vraiment Internet Explorer 6. Nous savions qu’il était peu probable que quelqu’un remarque la présence de cette bannière sur un environnement de pré-production ».

Le stratagème n’avait pas été approuvé par la hiérarchie. Mais les autres départements de l’entreprise ont rapidement été avertis par la presse…

Des craintes rapidement dissipées en interne

Le responsable des relations publiques a demandé des explications, après avoir lu les articles de presse indiquant que YouTube menaçait de couper son accès à près d’un utilisateur sur cinq. Heureusement pour les développeurs, la nouvelle a été plutôt bien perçue par les médias tech. Ils étaient convaincus qu’ils s’agissait d’un avantage pour Internet, que l’initiative pouvait in fine améliorer l’expérience des utilisateurs. Ils ont donc travaillé avec l’équipe PR pour concevoir des éléments de communication cohérents avec les premiers articles publiés sur le sujet.

Les juristes de Google sont ensuite venus aux nouvelles. Leur crainte : que l’entreprise soit accusée d’abus de position dominante, en utilisant la position de YouTube pour favoriser Google Chrome. Ils ont rapidement été rassurés par l’ordre des navigateurs recommandés : IE8, Firefox et Chrome était proposés dans un ordre aléatoire.

Les équipes de Google Docs ont rapidement repéré la bannière sur YouTube et appliqué la même technique, pensant que toutes les autorisations hiérarchiques avaient été obtenues par leurs collègues. C’est d’ailleurs sur Google Docs que la bannière a été repérée en premier par les autres collaborateurs de Google. Ces messages d’avertissement sont ensuite devenus légion sur les sites internet, qui assumaient désormais pleinement la menace de fin de support d’Internet Explorer 6.

L’impact de la bannière de YouTube sur Internet Explorer 6

L’initiative des ingénieurs de YouTube est discutable : les utilisateurs ont été menacés sur la base d’un mensonge (la fin du support d’IE6 n’était pas planifiée), la hiérarchie n’a pas été consultée… Mais quoi qu’on en pense, l’impact de cette bannière sur l’usage d’Internet Explorer 6 fut bien réel. Alors que la part de marché d’IE6 avoisinait les 25% en juin 2009, elle est tombée à 15% en un mois. Internet Explorer 7 a également vu ses parts de marché s’effondrer, au profit d’Internet Explorer 8… mais aussi d’autres navigateurs, comme Mozilla Firefox et Google Chrome.

L’impact de la bannière YouTube sur l’usage d’IE6 et IE7. Crédits : capture W3Counter annotée par Chris Zacharias.

L’intégralité du récit de l’ex-ingénieur de YouTube est accessible sur son blog.

Comme quoi, un peu d’intox parfois permet au Monde d’être plus performant !
🙂

 

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